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Jouer aux jeux vidéo : Suis-je un dangereux psychopathe ?

Publié le : 09/07/2025
Catégorie : Esprits Critiques
jouer aux jeux vidéo après 50 ans, est ce mal ?

L’autre soir, j’étais à la maison. Calme plat. Dehors, le monde suivait son cours, affairé et bruyant. Dedans, j’étais ailleurs. Casque sur les oreilles, manette en main, j’arpentais les terres désolées d’un monde post-apocalyptique. La lumière de l’écran découpait mon visage concentré. Chaque craquement dans le jeu, chaque ombre suspecte faisait monter une délicieuse tension. J’étais immergé, vivant, à des lieues de la déclaration de la TVA et du prochain rendez-vous chez le dentiste.

Et puis, le moment de grâce a été brisé. Pas par un monstre mutant, non. Bien pire. Par une voix désincarnée, celle de la télévision qui tournait en fond dans le salon. Une bribe de phrase, attrapée au vol depuis le journal du soir, qui a réussi à percer le son de mon casque :

« …le jeune homme, décrit par ses voisins comme solitaire et grand joueur de jeux vidéo, a été appréhendé… »

Clic. J’ai arraché mon casque. Sur mon écran, le monstre du jeu a eu ma peau dans l’indifférence générale. La vraie abomination, elle, venait de s’exprimer sur la première chaîne. Toujours la même rengaine. La même association paresseuse, le même sous-entendu insidieux. Le jeu vidéo, antichambre du crime.

Cette formule magique qui, en quelques mots, te colle une étiquette. Celle d’un passionné qui, aux yeux du monde, flirte avec la déviance. Celle d’un quinquagénaire qui, au lieu de cultiver ses géraniums ou de débattre du dernier talk-show, s’obstine à pratiquer une activité forcément suspecte.

Le procès du gamer grisonnant

Avant de répondre, asseyons nous au tribunal de l’opinion publique. Sur le banc des accusés : moi, et des millions d’autres comme moi. Et face à nous, les procureurs du bon goût et de la maturité. Écoutons leurs réquisitoires.

Accusation n°1 : « Le jeu vidéo, c’est pour les gosses »

Ah, l’argument massue. Celui qui sent la naphtaline et les certitudes d’un autre siècle. C’est vrai, dans les années 70 et 80, on était des gosses quand on a découvert Pong, Pac-Man ou Donkey Kong. Le truc, c’est qu’entre-temps… on a vieilli. Et le jeu vidéo aussi. Il a mûri avec nous.

Aujourd’hui, l’âge moyen du joueur en France est de 40 ans. Ce n’est plus une niche de puceaux boutonneux. C’est un loisir de masse, une industrie culturelle qui pèse plus lourd que le cinéma et la musique réunis. Prétendre que c’est « pour les gosses », c’est comme dire que la bande dessinée s’est arrêtée à Mickey ou que le rock’n’roll n’est qu’une musique de sauvageons. C’est juste le signe d’une ignorance crasse.

Accusation n°2 : « C’est une perte de temps, fais quelque chose de constructif ! »

J’adore celle-là. La fameuse « perte de temps ». J’aimerais qu’on m’explique ce qu’est un loisir « constructif ».

Passer deux heures à regarder des millionnaires en short courir après un ballon, c’est constructif ? Se laisser influencer devant les chaînes d’info en continu qui répètent les mêmes trois sujets en boucle, c’est constructif ? Enchaîner les huit saisons de Game Of Thrones, c’est ça l’activité d’un adulte « responsable » ?

Pendant ce temps, le gamer résout des énigmes complexes, élabore des stratégies à long terme, explore des scénarios aux multiples embranchements et vit des épopées de 100 heures. Mais non, lui, il perd son temps. La blague.

Accusation n°3 : « Ça rend violent et psychopathe »

On y vient. L’argument final, le coup de grâce des médias en panne d’inspiration. Après chaque fait divers sordide impliquant un jeune un peu paumé, la même rengaine : on dégaine son dossier de JRI stagiaire et on cherche dans sa liste de jeux vidéo pour trouver le coupable idéal. C’est facile, ça ne demande aucune analyse et ça fait vendre du papier.

Mais sérieusement, on va continuer longtemps ce petit jeu ? Sur les quasi 3 milliards de joueurs sur cette planète, on nous ressort toujours les deux mêmes cas tragiques pour en faire une généralité ? Et qui est assez malhonnête pour omettre de se poser les vraies questions : comment peut-on être sûr que le jeu est la cause, et non le symptôme ? Un gamin déjà en souffrance, que notre société « parfaite » n’a pas su écouter, ne trouvera-t-il pas refuge dans n’importe quelle passion pour y déverser son mal-être ?

Le problème, c’est le jeu, ou c’est notre incapacité à déceler la détresse bien réelle qui se cache derrière ? Accuser la manette, c’est juste le moyen le plus lâche de ne pas regarder nos propres échecs en face.

Accusation n°4 (l’hypocrite) : « Ah non, moi je ne joue pas à ces trucs là »

Et le plus drôle, c’est d’entendre ça de la part de gens qui font partie des 3 milliards de gamers sans même le savoir. Oui, TROIS MILLIARDS. La population de la Chine et de l’Inde réunies. Une armée de futurs psychopathes, sans doute.

Observe bien la scène dans le métro ou dans la salle d’attente du médecin. Tu vois ce cadre sup’ en costume qui te regarde de haut parce que ton fils parle de Fortnite ? Regarde ses doigts. Il est en train de tapoter frénétiquement sur son smartphone, alignant des bonbons de couleur ou construisant sa petite ferme virtuelle.

Lui, il ne « joue » pas. Il « se vide la tête ». Il « s’occupe ». C’est fascinant, ce snobisme. Jouer à FIFA sur une console de salon, c’est être un ado attardé. Jouer à Candy Crush sur un téléphone à 1000 balles, c’est être un adulte moderne et occupé. Le jeu mobile, ce grand cheval de Troie, a fait de nous tous des gamers. Mais seuls les plus hypocrites refusent de l’admettre.

Le vrai coupable : Le « Trop » (et ça vaut pour tout, même pour la pétanque)

S’il y a un vrai débat à avoir, il n’est pas sur la nature du jeu, mais sur notre rapport à lui. Le seul vrai danger, c’est l’excès. Le « trop ».

Mais ce danger guette toutes les passions. Le fan de foot qui délaisse sa famille pour le stade, le cycliste du dimanche qui s’achète un vélo à 5000€ et ne parle que de braquets, le collectionneur qui s’endette pour un timbre rare… Eux, on les trouve juste « passionnés ». Le gamer qui passe une nuit blanche sur un jeu, lui, il est « addict ».

Le problème, ce n’est pas la manette. C’est notre capacité, en tant qu’adulte, à trouver un équilibre. Et ça, c’est notre affaire, pas celle des juges de la bien-pensance.

Mise à jour Système requise : Ce qu’est VRAIMENT le jeu vidéo en 2025

Maintenant que le ménage est fait, expliquons à ceux du fond ce qu’ils ont raté.

Plus qu’un film : des univers où tu es le héros

Oublie le scénario linéaire où tu subis l’histoire. Le jeu vidéo moderne t’offre des mondes d’une richesse inouïe. Il te fait chevaucher dans les plaines de l’Ouest américain (Red Dead Redemption 2), enquêter dans les rues futuristes et poisseuses de Detroit (Detroit: Become Human), ou survivre à une apocalypse en te posant des questions morales qui te hanteront des jours durant (The Last of Us). Ce sont des expériences narratives totales.

Plus qu’un puzzle : le fitness pour neurones

Le jeu vidéo, c’est une salle de sport pour la matière grise. Résoudre les casse-têtes basés sur la physique d’un Portal. Gérer l’économie, la diplomatie et la stratégie militaire d’une civilisation sur des milliers d’années dans un Civilization. Anticiper les mouvements de ton adversaire dans un jeu de combat. Ça demande de la concentration, de la logique, des réflexes et une capacité d’adaptation constante. Bien plus stimulant que le Motus du matin, crois-moi.

Plus qu’un hobby : le nouveau café du coin est mondial

L’image du joueur solitaire est un mythe. Le jeu en ligne a créé les plus grands espaces de socialisation du 21ème siècle. Monter une guilde, préparer un raid pendant des semaines, coordonner en temps réel sur un casque-micro des actions complexes avec un Danois, une Japonaise et un compatriote du Cantal… ce sont des expériences humaines d’une puissance folle. Des amitiés durables naissent de ces aventures virtuelles, et même des mariages. C’est un lien social aussi valable qu’une partie de belote au bistrot du coin.

Conclusion : Alors, Docteur, un diagnostic ?

Alors, dangereux psychopathe ? Grand gamin irresponsable ? Non. Juste un type ou une nana de son temps (et oui, bien plus de femmes jouent aux jeux vidéo qu’on ne l’imagine, même passé la cinquantaine.) Quelqu’un d’une génération qui a vu naître une nouvelle forme d’art, et qui continue, logiquement, de l’apprécier à sa juste valeur.

Le vrai clivage, il est générationnel. Ce qui était une curiosité pour nous est une évidence pour nos enfants. Pour eux, un gamer de 50 ans n’est pas plus bizarre qu’un cinéphile du même âge. Ils ont raison. Il est temps qu’on arrête de se regarder avec les yeux de nos parents pour enfin s’accepter avec les nôtres.

Au final, la seule question qui vaille est celle-ci : est-ce que ça te fait vibrer ? Est-ce que ça nourrit quelque chose en toi ?

Que ta passion soit de retaper une vieille bécane, de te perdre dans les romans de Tolstoï ou de sauver la galaxie depuis ton canapé, l’important est de garder cette flamme. Le reste, c’est juste du bruit de fond.

Alors, tu me pardonneras, mais j’ai un boss à huit pattes qui m’attend sur mon jeu vidéo préféré. Et « à mon âge », je n’ai plus de temps à perdre avec les idées des autres.

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