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Premiumisation : comment on te prépare à ne plus rien posséder

Publié le : 14/08/2025
Catégorie : Esprits Critiques
La Prémiumisation : stratégie économique

La premiumisation. Quel joli mot pour cette stratégie qui consiste à vendre moins, mais plus cher, en ciblant uniquement les clients solvables. On réduit le volume, on maximise la marge. Le côté obscur de la chose est simple à résumer : tant pis pour ceux qui n’auront pas les moyens, tant pis pour les emplois qu’on supprime parce qu’il y a moins à produire, tant pis pour tous ceux qui glissent doucement hors de l’accès. Plus de personnes sur la touche, plus de foyers qui n’ont plus rien ou n’ont plus accès à rien.

Économiquement, c’est brillant. Moralement, c’est un carnage.

Let’s go.

La premiumisation : de la montée en gamme à la société de location

Au départ, la premiumisation ressemble à une montée en gamme assumée. On enlève la version simple et on ne laisse au client que des options plus “haut de gamme”. Le produit banal se retrouve rhabillé avec un storytelling avantageux, un emballage flatteur, une promesse de qualité qui justifie un prix supérieur.
Ce n’est pas forcément du mensonge : parfois la qualité suit, parfois non. Mais le mouvement, lui, est clair : on efface l’entrée de gamme du paysage, on rehausse le ticket d’entrée, et on concentre l’offre vers ceux qui peuvent payer.

Le second pilier est plus discret mais plus structurant : on remplace l’achat par l’usage. Tout ce qui était vendu à vie devient loué au mois. Les logiciels basculent à l’abonnement, les voitures se prennent en leasing, la musique et les films se consomment en flux, jusqu’au logement lui-même, où l’accès à la propriété devient de plus en plus cher et s’efface pour beaucoup au profit d’une location à vie.
Sur le papier, c’est flexible, pratique, moderne. Dans la réalité, tu ne possèdes plus rien. Tu finances un droit d’accès temporaire que tu perds dès que tu cesses de payer. On ne te vend plus un objet, on te vend la porte d’entrée et on garde la clé.

Exemple 1 : le persil Ducros à 270 €/kg, en promo

Je commence par le plus terre-à-terre. Dans une grande enseigne française, un pot de persil séché de cinq grammes s’affichait à 1,35 € en promotion, soit 270 € le kilo.

La valeur de la matière première est négligeable ; l’essentiel du prix part dans l’emballage, dans l’image de sérieux que diffuse un petit flacon soigné, et dans l’acceptation sociale que “c’est normal, c’est présenté proprement”.

On a donc réussi l’exploit de créer une “montée en gamme” pour une herbe séchée, avec un emballage énergivore et polluant. Tu crois payer un peu de verdure pour ton omelette ; tu payes surtout un marketing habile. Tu achètes un emballage dont tu n’as pas besoin, tu n’as quasiment rien de ce dont tu avais besoin.

Voilà une premiumisation de la vie courante : on ne fabrique pas seulement un produit, on fabrique une valeur perçue, et on te facture cette perception.

Exemple 2 : Peugeot et la disparition des petites citadines

Passons à l’automobile. Il fut un temps où tu pouvais acheter une petite citadine neuve à un prix raisonnable.

Chez Peugeot, ce temps s’est arrêté avec la fin de la 108 début 2022. Officiellement, les nouvelles exigences pèsent lourd : normes de sécurité, contraintes CO₂, etc… rendant impossible la fabrication de petits modèles tout en gardant un tarif compétitif. Ce qui permettra de proposer uniquement une offre plus haut de gamme.

Dans les faits, les SUV à 30 000 € pullulent parce qu’ils rapportent plus. Un SUV mieux margé, bardé d’options et vendu sous crédit ou location longue durée, est une équation financière qui doit sourire aux actionnaires. Le bon sens écologique s’incline devant la rentabilité.

Un marché saturé pousse les fabricants à chercher la marge, pas le volume ; des normes coûteuses rendent l’entrée de gamme moins rentable. La “solution” devient naturellement de monter la gamme.

C’est la premiumisation à l’état pur, une forme de stratégie d’écrémage assumée : après une segmentation client drastique, on réduit volontairement la clientèle pour ne garder que les plus solvables, et on propose aux autres de rester dans le jeu en louant à vie.

Le cercle vicieux de la premiumisation : quand l’accès remplace la propriété

La premiumisation crée un monde où l’accès remplace la propriété. Tant que tu peux payer, tu circules sans souci.

Ce confort apparent nourrit une croyance tenace : “Si moi j’y arrive, c’est que le système est correct.” Mais la mécanique ne s’arrête pas à ton cas personnel. À mesure que l’entrée de gamme disparaît, l’échelle de prix se décale, et de plus en plus de gens décrochent. Et tu pourrais bien être le prochain, ou tes enfants.

Ce tri n’est pas brutal, il est continu. Il ne ressemble pas à une porte qui claque, mais à un escalier roulant à l’envers.

La premiumisation, une dépendance organisée

La conséquence la plus lourde n’est pas simplement de payer plus cher ; c’est de ne plus rien posséder. Une économie d’accès, bien huilée, te lie à des contrats renouvelables à l’infini.

Tu ne possèdes pas ton logiciel, ta voiture, ta musique, ton logement (et qui sait, bientôt, tu pourras ajouter à cette liste ton téléphone, ton ordi, tes vêtements, tes appareils électroménagers, etc… tant que ça marche et que les gens payent, pourquoi ne pas continuer ce délire).

On te vend la tranquillité contre un loyer perpétuel. Cette dépendance est rentable pour l’offreur, mais risquée pour toi, parce qu’à la première secousse de vie — perte d’emploi, maladie — l’accès se coupe (et ça peut arriver à tout le monde, même aux « meilleurs »).

La simplicité est réelle, mais elle masque la transformation de notre statut : de propriétaire imparfait à locataire permanent.

La premiumisation : « pas nouveau », mais un phénomène plus large

Tu as peut-être envie de me dire que la premiumisation n’a rien de neuf. Et tu n’as pas tort.

Ce qui change, c’est son extension à des domaines entiers et la disparition assumée du palier d’entrée. Autrefois, la montée en gamme cohabitait avec une base accessible. Désormais, la base s’efface, et le modèle locatif vient combler le trou en proposant un “accès” à ce qui n’est plus achetable.

Peut-on freiner, détourner, bifurquer ?

Il existe des contre-mouvements, même modestes.

Le logiciel libre rend à nouveau possible de posséder des outils numériques sans abonnement. L’occasion, la réparation et l’auto-hébergement redonnent des marges d’autonomie à ceux qui prennent le temps de s’en emparer. Les achats groupés, les coopératives, les circuits courts limitent la prime à l’emballage.

Rien de tout cela n’est magique, rien n’est gratuit en temps ou en effort, mais chaque pas réapprivoise un morceau de propriété ou d’indépendance. L’alternative n’est pas de revenir à la bougie ; c’est d’accepter que la facilité absolue a un prix caché, et de réapprendre, par endroits, à redevenir propriétaire de ce qui compte.

Et après ? Le pont vers la cupidité tarifaire assumée

Si tu as l’impression que la premiumisation n’explique pas toute la flambée actuelle des prix, c’est que tu as l’œil.

La montée en gamme et la location ne sont qu’une partie du tableau. Depuis quelques années, une autre logique s’installe : celle qu’on appelle greedflation — littéralement “inflation de la cupidité”.

Elle consiste à augmenter les prix non pas pour couvrir des coûts ou financer une vraie amélioration, mais simplement parce que le marché l’encaisse et que la position dominante le permet. Vendre moins, beaucoup plus cher, à des clients captifs, devient une stratégie en soi.

On en parlera en détail dans le prochain article d’Esprits Critiques : comment, pourquoi et jusqu’où certains tirent sur la corde, et ce que cela fait à la structure sociale quand l’accès aux produits essentiels devient un privilège.

Conclusion

La Premiumisation n’est pas une théorie ; c’est une pratique.

Elle produit un monde où l’entrée de gamme s’évapore, où l’usage remplace la propriété, où l’on paie pour traverser des portes dont on ne possède jamais la clé. Elle n’a pas besoin d’un plan secret pour prospérer ; il suffit qu’elle soit rentable. Et tant qu’une part suffisante de la population peut payer — quitte à louer sa vie entière — rien ne l’arrêtera.

La question utile n’est pas “Est-ce que moi je peux encore suivre ?”, mais “Qu’est-ce que ce système fabrique collectivement, et qui est doucement poussé hors du champ à chaque tour de vis ?”. On peut préférer ne pas y penser. On peut aussi choisir d’y voir clair, maintenant.


Questions fréquentes

C’est une stratégie marketing qui consiste à retirer l’offre d’entrée de gamme pour ne proposer que des versions plus chères et plus rentables d’un produit ou service. L’objectif n’est pas de vendre à tout le monde, mais de maximiser la marge sur une clientèle plus restreinte et plus solvable.

Une hausse de prix classique augmente le tarif d’un produit existant. La premiumisation est plus structurelle : elle change l’offre elle-même. On ne te laisse plus le choix de la version « simple et pas chère » ; on te force à monter en gamme ou à basculer sur un modèle locatif (abonnement, leasing).

Parce que l’industrie a massivement abandonné la production de petites citadines neuves et abordables. Les constructeurs se concentrent sur les SUV et les modèles mieux équipés, qui génèrent plus de profits. Ils compensent les prix d’achat élevés par des offres de location longue durée (leasing), transformant le propriétaire en locataire permanent.

En reprenant le contrôle sur ce qui peut l’être. Privilégier le marché de l’occasion, apprendre à réparer, soutenir les logiciels libres pour éviter les abonnements, ou encore se tourner vers les circuits courts et les coopératives pour limiter la prime à l’emballage et au marketing. Chaque geste qui favorise la propriété et l’autonomie est une forme de résistance.

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