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Le silence assourdissant du bus : comment nos smartphones ont tué la conversation

Publié le : 09/07/2025
Catégorie : Esprits Critiques
La rupture du lien social générée par les smartphones

L’autre jour, j’étais dans le bus. Un trajet banal, un de ceux que tu fais mille fois sans y penser. Et pourtant, ce jour-là, j’ai levé la tête. Et je les ai vus.

Ils étaient tous là, mes compagnons d’infortune, une trentaine d’âmes entassées dans cette boîte de métal. Et pas un bruit. Pas un murmure. Juste le souffle de la ventilation et le grincement des suspensions. Ce n’était pas un silence de recueillement, non. C’était un silence de déconnexion.

Trente têtes baissées, trente nuques courbées, trente visages baignés dans la même lueur bleutée et spectrale. Une chorégraphie de zombies modernes, un ballet parfaitement synchronisé où chacun tenait son petit rectangle de verre comme un objet de culte. L’un « swipait » frénétiquement, l’autre regardait une vidéo sans son, une troisième souriait à une blague que personne d’autre ne pouvait voir.

Tous ensemble, et tous désespérément seuls.

Et un souvenir m’a frappé en pleine gueule. Le souvenir de ce même bus, il y a trente, quarante ans. Le souvenir du bruit. Le brouhaha incessant fait de la discussion enflammée entre deux voyageurs sur le match de la veille, du son métallique des casques de Walkman qui crachotaient les derniers tubes, de la vieille dame qui demande si on peut lui laisser une place, des gamins qui chahutent… C’était bruyant, c’était parfois agaçant, mais c’était vivant.

Alors je me suis posé la question, là, au milieu de ce silence assourdissant : quand est-ce que c’est arrivé ? Quand est-ce qu’on a collectivement décidé que le voisin d’à côté était moins intéressant que le fil d’actualité de notre téléphone ?

La Grande Déconnexion : Portrait d’une humanité en Mode Avion

Ce qui me fascine dans cette scène, ce n’est pas tant l’objet en lui-même. Le smartphone est un outil formidable, je ne suis pas le dernier à le dire. Non, ce qui est frappant, c’est l’usage qu’on en fait dans l’espace public. Il est devenu un bouclier. Une barrière portative. Un panneau « Ne pas déranger » que l’on brandit en permanence pour éviter tout contact avec le réel.

Les écouteurs vissés dans les oreilles ne servent plus seulement à écouter de la musique, ils servent à dire : « Ne me parlez pas ». L’écran allumé ne sert plus seulement à lire, il sert à signifier : « Mon attention est ailleurs ».

On a transformé le plus grand outil de communication de l’histoire en la plus efficace des machines à isolement.

Parler à un inconnu dans un lieu public est devenu un acte de bravoure, voire une agression. C’est suspect. Bizarre. Presque déplacé. Le nouveau code social, c’est l’ignorance polie.

« C’était mieux avant ? » Allez, arrêtons l’hypocrisie.

Je vois déjà venir les sourires en coin. Le discours du « vieux con » qui geint que « c’était mieux avant ». Et quand un jeune esprit éclairé me rétorque que c’est un discours de boomer largué, j’ai envie de lui répondre avec la sagesse de l’expérience : « Tu sais rien Jean Neige. Moi j’ai vécu les deux chapitres. J’ai connu le monde avec et le monde sans. Pas toi. »

Alors soyons honnêtes deux minutes. Oui, sur cet aspect précis du lien social spontané, c’était mieux avant. Le « avant » n’était pas parfait, loin de là. On avait le type qui empestait la clope (à l’époque où fumer dans le bus était un droit constitutionnel), le relou qui te draguait avec la subtilité d’un 33 tonnes… Mais au moins, il y avait de l’interaction.

Aujourd’hui, la pire nuisance a changé. C’est ce type, seul mais jamais silencieux, qui partage sa conversation téléphonique avec les vingt mètres carrés qui l’entourent. Ce n’est pas une discussion, c’est un monologue de la vanité. Le mec est persuadé que sa vie est assez passionnante pour être diffusée en direct. En réalité, soit il est d’un égocentrisme pathologique (et il faudrait qu’il comprenne : on s’en fout, on ne t’a rien demandé). Soit, et c’est encore plus triste, il est si seul qu’il crie dans le vide pour qu’on le remarque. J’aimerai tant rompre un peu sa solitude si seulement il mettait son foutu téléphone de côté.

Le problème n’est pas le smartphone. Le problème, c’est ce qu’il a fait de nous : des individus qui coexistent dans des bulles, sans plus jamais se rencontrer. L’enjeu n’est pas de revenir en arrière, mais de réussir à rester humain, tout en ayant cet outil dans la poche.

Le paradoxe du progrès : Plus de « contenu », moins de liens ?

Et c’est peut-être ça, le fond du problème. On a tellement peur du vide, de l’ennui, qu’on s’empiffre de contenu jusqu’à l’indigestion. Podcasts, vidéos, articles, messages… Notre cerveau n’est jamais au repos. Il n’a plus le temps de divaguer, d’observer, de penser par lui-même. Et ça c’est grave.

En comblant chaque interstice de notre journée, on a fini par boucher les fissures par lesquelles le réel pouvait s’infiltrer. On a perdu la capacité à simplement « être là ». Présent. Disponible au monde qui nous entoure. L’ennui était peut-être le terreau de la créativité et de la rencontre. En le tuant, qu’avons-nous perdu en chemin ?

Conclusion : Prouve que tu existes

Je ne vais pas te faire le coup de la morale à deux balles. Je ne vais pas jeter mon smartphone demain, et toi non plus. Mais cette expérience dans le bus m’a laissé une drôle d’impression. Celle d’être le témoin d’un tour de magie où tout le monde a disparu sous nos yeux.

Alors, je me suis fait une promesse. Une promesse de vieux con, sans doute, mais je l’assume. De temps en temps, je vais consciemment laisser mon téléphone dans ma poche. Juste pour voir. Pour observer les visages, les bâtiments, le ciel. Juste pour être là.

Et comme le chantaient si bien notre jolie France Gall et son humain de compagnon Michel Berger :

Résiste ! (Tadada dadada) Prouve que tu existes !

Aujourd’hui, résister, c’est peut-être juste ça : relever la tête.

Et si, par miracle, je croise le regard d’un autre zombie déconnecté, et qu’on s’échange un sourire entendu, alors j’aurai résisté. J’aurai prouvé que j’existe. Et j’aurai tout gagné.

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